Rosch-Hachana 1678 à Pfaffenhoffen

par André-Marc Haarscher
D'après un exposé fait au 9ème Colloque de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine(Fevrier 1986)

Septembre 1678. La France est en guerre contre la Hollande. L'Alsace , que Louis XIV a peu à peu rattachée à sa couronne, est le théâtre d'importants mouvements de troupes. Il en est ainsi dans le Comté de Hanau-Lichtenberg et Pfaffenhoffen, un des chefs-lieux de baillage du Comté, est le siège d'une petite garnison temporaire. De ce fait, la population est consignée et ne peut quitter le bourg. Les Juifs de Pfaffenhoffen, au nombre de quatre familles, ne constituaient pas encore une communauté. Ils avaient l'habitude, pour leurs offices religieux, d'aller à Dauendorf, distant de 5 kilomètres, qui dépendait de l'Evêché de Strasbourg. (Il faut rappeler que d'après la "Judenordnung" de 1626, les Juifs du Comté de Hanau-Lichtenberg ne pouvaient célébrer leurs office qu'à Brumath et Neuwiller, puis ultérieurement à Bouxwiller et Westhoffen).

Or, la fête de Rosh-Hashana tombait cette année les 7 et 8 septembre. Etant donné l'impossibilité pour eux de se rendre à Dauendorf, les Juifs de Pfaffenhoffen sollicitèrent le 3 septembre auprès du Conseil de Régence de Bouxwiller la permission de célebrer leurs offices sur place. Cette permission leur fut accordée sans trop de difficultés, mais devait avoir l'assentiment préalable du pasteur de la commune, Samuël Hoppensack. Le secrétaire du Conseil de Régence, Bernhart Meder, rédigea une lettre dans ce sens, mais celle-ci n'arriva que le 6 au soir alors que les Juifs de Pfaffenhoffen, fort de l'accord tacite qu'ils avaient obtenu, étaient déjà réunis pour célebrer leur office.

Le pasteur Hoppensack, profondément ulcéré de n'avoir pas été consulté à temps et bien que contrevenant à l'accord donné par le Conseil de Régence, se mit en devoir d'interrompre l'office. Cet incident est fidèlement consigné dans le "Kirchenbuch" conservé aux Archives Départementales. Le 8 septembre, le pasteur écrit à Bernhart Meder: "...si donc ma conscience me dicte une autre voie sur ce point et que je ne peux partager votre avis, si par ailleurs je devais me rendre complice de l'horrible infamie... que commettraient les juifs butés et aveugles en célebrant leurs fêtes ici... il faudrait également "in tempore belli" le permettre aux papistes, calvinistes, quakers, etc., ce qui ne s'était encore jamais produit et ne se produira jamais... Ainsi, j'ai, en qualité de mes fonctions interdit aux Juifs leur réunion pour célebrer leur fête idolâtre... Comment la juiverie d'ici a respecté mon interdiction de célébrer leur faux culte a provoqué la consternation des Français et des nôtres, de sorte que j'ai été dans l'obligation d'alerter Monsieur le Prévôt et de me servir de son autorité... Nous avons bon espoir que sa Gracieuse Seigneurie ne laissera pas passer cette action répréhensible et révoltante, mais condamnera et se défendra contre un tel malheur et punira les Juifs en conséquence, puisque ce lieu n'a jamais été souillé par la présence de cette juiverie maudite, diabolique et impie."

Par ailleurs, le 24 octobre 1678, le pasteur Hoppensack rédige un rapport sur cet incident au Consistoire Général (protestant) où nous lisons une version un peu différente des événements: "... mais ils (les Juifs) n'ont pas tenu compte de mon interdiction, ont persisté dans leur dessein et ont célébré publiquement, selon leurs maudites traditions avec sonnerie de trompe et grands cris, leur fête du Nouvel An. De ce fait... j'ai contacté Monsieur le Pasteur Schaller et le greffier municipal, dans leur lieu de réunion, et il leur a ordonné de cesser leur culte maudit... Ils n'ont pas plus respecté cet ordre que le mien précédent, ont continué leur fête pendant trois jours et l'ont menée à bonne fin. Il aurait suffi de peu pour que les habitants... ne prennent d'assaut la "Judenschul"... d'autant plus que nous avions cru comprendre que le Commandant (des troupes françaises) vous viendrait en aide avec ses soldats... mais nous n'avons pas voulu nous abaisser à nous en prendre à ces scélérats..."

Il existe une troisième version des faits, probablement la plus conforme à la vérité que nous devons à Jacob Weyl de Westhoffen, le préposé des juifs du Comté. Dans une supplique de cinq années postérieures adressée au Comte Palatin Christian, il écrit: "... mais si je constate avec consternation que le pasteur Hoppensack, ne veut pas tolérer nos cérémonies religieuses, et ce qui plus est, a expulsé il y a quelques années, avec l'aide de soldats, les Juifs de leur synagogue..."

C'est sans doute ainsi que les choses se sont passées. Quoi qu'il en soit, cet incident aura eu au moins un résultat positif: un decret de 1683, dicté par le Comte Palatin Christian (oncle et tuteur du Comte Johann-Reinhart de Hanau-Lichtenberg) autorisera les Juifs de Pfaffenhoffen à construire leur première synagogue.

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