Ce fait qui pour une petite Kehila comme Pfaffenhoffen devait être un événement a été relaté par le docteur A.M Haarscher:
A propos de l'élection d'un Parnass à Pfaffenhoffen en 1792
En consultant les archives du Comté de Hanau-Lichtenberg, notre attention a été attirée par un dossier intitulé: "Disputes entre israélites" à Pfaffenhoffen en 1792(1). Bien qu'en principe seuls les conflits entre Juifs et Chrétiens étaient du ressort de la justice seigneuriale, il n'était pas exceptionnel que des différends entre Juifs, parce que la décision du rabbin ou du Beth Din (Tribunal Rabbinique) ne convenait pas à l'une ou l'autre des parties, soient portés au tribunal du bailliage ou du comté et même devant le Conseil Souverain d'Alsace.
Cependant dès la lecture des premières lignes du document, on se rend compte qu'il ne s'agit nullement d'une "dispute", mais de l'élection de trois "disputirten" (le terme était à la mode - nous sommes en 1792!) au sein de la Communauté Juive de Pfaffenhoffen. En fait il s'agissait de l'election du Parnass (Président de la Communauté) et de ses deux assesseurs.
Avant de commenter ce texte, nous voudrions brièvement rappeler ce qu'étaient les Parnassim (Prévôts ou Syndics des Juifs, Judenvorsteher, dans la terminologie allemande). Il faut savoir que dès le XVIème siècle, les Juifs de l'Empire Germanique avaient leurs représentants Advocati judeorum.
Le plus célèbre d'entre eux étant Rabbi Josselmann de Rosheim qui avait pris le titre de Parnass ou -Manhig- chef et conducteur de la communauté juive de l'Empire. Il a eu la malencontreuse idée de traduire ces termes par "Regierer" ce qui lui a valu quelques ennuis avec Charles Quint qui lui donnait le titre de "unser gemeiner Judischkeit im heiligen Reich teutscher Nation Befehlshaber". Son successeur fut Lazarus de Surbourg qui résidait à Haguenau.
Par la suite, il semble que les Juifs furent représentés en Alsace par des préposés seigneuriaux ou territoriaux (Landesvorsther). Ils étaient nommés par le seigneur et avaient autorité sur les Juifs de son territoire. Leur rôle était essentiellement de faire rentrer les taxes et impôts dans leur juridiction. Cependant, ils avaient un poids certain auprès des autorités seigneuriales et pouvaient défendre leurs coreligionnaires contre les abus de certains fonctionnaires ou de municipalités. Dans le Comté de Hanau-Lichtenberg, le premier que nous connaissions est Jacob Weyl de Westhoffen qui a exercé ces fonctions pendant la deuxième moitié du XVIIème siècle. Il était le factotum (il se qualifie lui même de Hof Jude) du Comte Palatin et du Prince de Birckenfeld. Nous ne nous étonnerons donc pas qu'il ait obtenu gain de cause dans le conflit où il soutenait les Juifs de Pfaffenhoffen contre le pasteur du lieu(2). Il est mort en 1694 ou 1695 et c'est Libmann, un de ses fils, qui lui a succédé. Nous voyons la signature de ce dernier sur les Schirmgeldregister (registres des droits de protection) des bailliages de Bouxwiller et Pfaffenhoffen de 1702 et 1706(3). Il est encore préposé du Comté en 1722. En 1739, c'est Jacob Weyl (probablement le fils de Libmann et petit-fils de Jacob) qui a le titre de Landesvorsteher (4) comme nous le voyons dans un différend qui l'a opposé au Préposé des Juifs de Bouxwiller. A la fin du XVIIIème siècle, la fonction de Préposé Seigneurial semble tomber en désuétude au profit des Préposés Particuliers de Bouxwiller.
Les Préposés Particuliers étaient élus par les membres de leur Communauté et étaient ensuite agréés par les autorités seigneuriales. Il leur appartenait de maintenir l'ordre au sein de la communauté et tout particulièrement à la synagogue. Ils avaient le droit de sanctionner leurs coreligionnaires et étaient soutenus en cela par les autorités, ce qui a fait écrire à Georges Livet(5): "ce n'est pas un des moindres paradoxes du régime que de voir la loi de la société civile, appuyée par les forces de la police et de l'administration, venir en aide à la loi religieuse dans le maintien au sein de la communauté israélite de la discipline et de l'obéissance aux chefs reconnus...".
Dans le procès-verbal de l'Assemblée des Notables de Niedernai du 28 Mai 1777 (6), il est stipulé que le Préposé Particulier est élu à la majorité des voix par l'Assemblée de la Communauté réunie par le rabbin de la région puis confirmé par les Syndics Généraux(7). La nomination de ces Parnassim ne doit pas porter préjudice aux seigneurs qui ont le droit de se choisir un préposé seigneurial. Il doit être un homme de confiance et aisé (zuverlässig und zahlungsfähig) pour pouvoir avancer le cas échéant les sommes dues par la Communauté (art. 2). Le Préposé Particulier peut infliger des amendes de trois livres à ceux qui résistent à son autorité. Le récalcitrant peut être privé par le Parnass des honneurs religieux (art. 3) (8). Les amendes infligées par les Préposés étaient déclarées par ceux-ci à la Rentkammer et enregistrées sous la rubrique Judenfrevel (amendes aux Juifs). Leur produit était partagé par moitié entre la trésorerie du Comté et la caisse des pauvres (Almosen) de la Communauté.
Toutes les communautés notamment les plus petites n'avaient pas leur Préposé Particulier. Ainsi dans le relevé préparatoire pour le dénombrement de 1784 des bailliages de Pfaffenhoffen, Ingwiller et Neuwiller(9), on constate que la Communauté d'Offwiller où vivent quatre familles juives n'a pas de Préposé et c'est un simple membre de la Communauté, Leiser Raphaël, qui signe la déclaration alors que Schiele Lévy d'Ingwiller, Moses Alexandre d'Ingenheim, Loewel Lévy de Neuwiller, Zacharias de Pfaffenhoffen et Hertzel Jacob de Schwindratzheim ont tous le titre de Préposé. Ces préposés sont assistés par un Comité également élu.
L'histoire et le rôle qu'ont joué les Préposés Généraux ou Syndics de la Nation Juive -appelés Obervorsteher dans les textes allemands- ont fait l'objet de nombreuses études. "Il existait en Alsace à la fin du premier tiers du XVIIIème siècle un petit groupe de Juifs que leur industrie, leur génie des affaires, les relations qu'ils avaient réussi à se faire, avaient placés au tout premier rang de leurs coreligionnaires (10)". C'était Moïse Blien de Hoehnheim, la famille Weyl de Westhoffen, Aaron Meyer de Mutzig, les Netter de Rosheim et Cerf Berr, le plus connu de tous. Ces négociants, banquiers et fournisseurs des armées royales possédaient des moyens financiers considérables. Lorsque l'Intendant de Vanolles introduisit sa réforme fiscale en 1744, il leur donna à bail les droits et taxes royales qui incombaient aux Juifs de la province, tout comme le Magistrat de strasbourg leur avait affermé en 1754 le péage corporel que payaient les Juifs qui entraient dans la ville (11).
Cependant malgré leur puissance, et l'influence qu'ils avaient auprès de l'Intendant et du Conseil Souverain d'Alsace, ils ne purent jamais s'immiscer dans les affaires du Comté de Hanau-Lichtenberg. Le Conseil de Régence aussi bien que les Préposés locaux s'y sont toujours opposés. En 1777 lors de la réunion des notables de Niedernai, les Préposés du Comté, bien qu'invités nommément, n'ont pas siègé puisque le procès-verbal n'est signé par aucun d'entre eux.
Un document de Janvier 1777 montre bien l'opposition des Juifs du Comté à l'action des Préposés Généraux (12): les quatres frères Moyse (Abraham Hirsch, Israël Wolff, Elias et Joseph) demandent dans une lettre au Conseil de Régence que celui-ci réagisse contre "das frevelbarste Attentatum welches jehmals wider die diesseitige Juridiction ausgeübt werden konnte" (contre l'attentat le plus repréhensible exercé contre la juridiction de ce Comté). Il s'agit de l'inventaire de la succession de leur mère récemment décédée pour lequel "les prétendus Préposés de la Nation Juive en Alsace" ont envoyé leur secrétaire, Simon Hallé, afin d'apposer les scellés. Cette immixtion dans les affaires administratives du Comté n'émanait pas d'un ordre de l'Intendance, comme l'a avoué Simon Hallé, mais d'un ordre de Cerf Berr. Or le règlement du 1er Août 1771 n'autorise pas une telle action juridique. Cependant pour montrer qu'ils ne redoutaient pas la pose de scellés les frères Moyse ont demandé au greffier de la Régence d'apposer ceux-ci en présence de Simon Hallé et ont fait dresser un procès-verbal par huissier royal.
Ils espèrent que le Conseil de Régence approuvera leur conduite. Ils demandent en outre que l'inventaire soit fait par le rabbin en présence du greffier étant donné que le rabbin est leur oncle (13), et pourrait être accusé de partialité. Le Conseil de Régence fait droit à la demande des frères Moyse et décide que l'inventaire soit fait par le rabbin en présence du greffier du bailliage avec l'aide du Judenvorsinger, le chantre Loewel Blum, le 25 Janvier 1777.
Un incident analogue eut lieu la même année à la suite du décès du Préposé Hirtzel Netter de Bouxwiller en 1776. L'inventaire de sa succession révéla une fortune supérieure à celle qu'il avait déclarée pour la fixation de ses contributions. Les Préposés Généraux firent saisir une somme de cinq mille livres qu'ils firent déposer entre les mains du rabbin Wolff Reichshoffer comme provision sur les arriérés de ses contributions. Là encore, les Préposés locaux se sont opposés et se sont adressés à la Régence qui les a soutenus. Cette affaire, dont les documents forment un volumineux dossier (14) a été analysée par Georges Weill (15). On peut y voir les arguments et contre-arguments échangés entre l'Intendant de Blair et C.G Koch (16), le conseiller intime du Landgrave Louis IX ainsi que des échanges de correspondance entre Koch et Cerf Berr. Il est bien évident que l'Intendant -c'est-à-dire le pouvoir royal- avait tout intérêt à soutenir la position des Préposés Généraux dans leurs efforts de centralisation, mais devait se garder néanmoins d'empièter sur les droits seigneuriaux. "Cerf Berr ist der erste welcher von diesem ordentlichem Weg abgegangen und sich zum Despoten über die Hanauische Judenschafft aufzuwerfen suchet". Cerf Berr est le premier qui s'est écarté du droit chemin et a voulu s'imposer comme un despote à la Communauté Juive du Comté de Hanau: telle est la conclusion du bailli Reiner dans un long rapport au Landgrave de Hesse-Darmstadt le 11 Janvier 1778 (17).
Un autre document (18) des Archives du Rabbinat du Comté dont l'original semble être perdu montre bien l'indépendance des Préposés locaux par rapport aux Préposés Généraux. Il s'agit d'une lettre datée de Strasbourg du 23 Juillet 1782 signée par les trois Syndics Aaron Meyer, Lehmann Netter et Cerf Berr, adressée au rabbin Wolff Jacob Reichshoffer. Ils lui demandent de bien vouloir réunir les Parnassim de son ressort afin de leur donner tout pouvoir de conférer avec les Préposés Généraux "tant au sujet du budget que des statuts et autres questions intéressant les Juifs de la province."
Venons en maintenant au document sur l'élection du Parnass et de son comité à Pfaffenhoffen. C'est un texte de quatre pages manuscrites en allemand sur papier timbré, qui est la traduction de l'original en hébreu faite par Moïse Lévy Lipschitz, le chantre de Haguenau (19). "Auf heut zu end gesetzem dato hat sich die allhiesige Pfaffenhoffner Judenschafft versammelt ... als nehmlich wie sich befindet in dem fünften Buch Moses "Du sollst dir einen Vorgesetzen machen...""
Ce jourd'hui s'est réunie la Communauté Juive de Pfaffenhoffen pour agir selon qu'il est écrit dans le cinquième livre de Moïse: "tu mettras des juges et magistrats à la tête du peuple"(20)
Il y est dit que les membres de la Communauté s'y sont réunis pour élire trois d'entre eux comme députés (disputirten) qui devront agir pour le droit et le bien de la Communauté. L'un de ces trois membres élus sera désigné comme Préposé.
Ce Préposé aura le pouvoir de convoquer les deux autres membres élus pour toute affaire concernant la synagogue, les cérémonies et tout ce qui touche la Communauté dans son ensemble.
Le Préposé aura le pouvoir de sanctionner d'une amende de trois livres celui des députés qui n'aura pas répondu à la convocation.
Le Préposé et les deux autres membres élus pourront sanctionner les membres de la Communauté d'une amende allant jusqu'à six livres, dont la moitié sera pour la Municipalité (21) et l'autre pour la Almosen Bichs, le tronc de bienfaisance.
Les trois membres élus pourront faire des démarches dans l'intérêt de la Communauté et aux frais de celle-ci.
Ils auront le pouvoir de convoquer en assemblée les membres de la Communauté et sanctionner ceux qui se sont abstenus sans motif valable.
Au cas où pour une raison quelconque il y aurait une charge supplémentaire pour la Communauté, celle-ci doit être acceptée à la majorité.
Le préposé et les deux membres désignés auront pouvoir de dépenser jusqu'à vingt Florins à condition de le justifier.
Au cas où le Préposé ne sanctionnerait pas un contrevenant, les autres élus seraient habilités à lui infliger une amende jusqu'à une somme de trois Florins.
Tout ce qui a été décidé doit avoir force de loi comme si c'était un décret de la Municipalité (21).
Suit la signature de 17 membres de la Communauté.
Aussitôt après on passe au vote secret qui désignera Meyer Loewel comme Préposé et comme ses assesseurs Samuel Samson et Mayer Sacher.
Il est stipulé en outre que le nouveau Préposé aura les honneurs de la Thora aux prochaines fêtes Juives.
Suit à nouveau la signature de 18 membres de la Communauté: Mayer Loebel, Samuel Samson, Mayer Isachar, Siesel Loebel, Isachar Mayer, Isachar Loebel, Samuel Isac, Raphaël Jochanan, Abraham Mendel, Loebel Samuel, Elias Raphaël, Jachiël Salomon, Getsch Samuel, Moyses Loebel, Lipman Raphaël, Samuel Loebel, Lipman Machaël, Baruch Meyer.
La traduction du texte hébreu a été faite à Haguenau le 22 Octobre 1792.
Dr A.M. HAARSCHER
NOTES ET REFERENCES
1)A.B.R. (Archives du Bas Rhin) 8 E 372/24
2)HAARSCHER (A.-M.) Le bras de fer entre le pasteur et les Juifs de Pfaffenhoffen. Pays d'Alsace 150, 1990, 1-5
3)A.B.R. E 3051 et 3080
4)A.B.R 3769/28
5)LIVET (G) L'intendance d'Alsace, Paris 1956 p.783
6)BLOCH (J) Das Protokoll der Versammelung der Gemeindevorsteher in Niedreehnheim (28 Mai 1777) Tribune Juive 1933, N° 45, 49, 51; 1934, N° 1, 4, 6
7)Ceci n'est pas le cas pour les Préposés du Hanau-Lichtenberg qui n'ont pas reconnu la prééminence des Préposés Généraux
8)C'est ce qu'on appelle dans la juridiction religieuse "Isser" (de l'Hebreu Issour - interdit) et qui est généralement traduit dans les textes par Kleine Bann, par opposition au "Herem" ou Grosse Bann qui était une exclusion de la communauté
9)A.B.R. 1 E 12
10)RAPHAEL (F) et WEYL (R) Les Préposés Généraux (1648-1793) in Regards Nouveaux sur les Juifs d'Alsace Strasbourg, Istra, 1980, 17-45
11)A.M.S. (Archives Municipales de Strasbourg) Série IV/77/335
12)A.B.R. E 1450 fol. 114
13)Il s'agit de Wolff Jacob Reichshoffer dont la soeur Zippora avait épousé Moyse Elias, le père des quatre frères Moyse
14)G.L.A. (Badisches Generallandesarchiv) 112 N°124
15)WEILL (G) L'Intendant d'Alsace et la centralisation de la Nation Juive in Dix huitième siècle, 13, 1981, 181-205
16)Christophe Guillaume Koch (Bouxwiller 1737 Strasbourg 1813) Conseiller des Princes de Hesse-Darmstadt, savant, historien, Recteur de l'Université de Strasbourg (1787) Député de Paris (1789) puis de Strasbourg
17)G.L.A. 112 N°124 fol. 60-62
18)WEIL (J) Contribution à l'histoire des communautés alsaciennes au XVIIIème siècle R.E.J. 81, 1925, 169-180
19)L'original hébreu ne figure pas dans le dossier
20)Deutéronome chap. XVI, verset 18
21)L'argent n'est plus versé à la Rentkammer ou Trésorerie du Comté; pour la même raison, nous sommes en 1792, le Conseil de Régence n'est plus évoqué
L'élection d'un Parnass à Pfaffenhoffen en 1792
Ce fait qui pour une petite Kehila comme Pfaffenhoffen devait être un événement a été relaté par le docteur A.M Haarscher:
A propos de l'élection d'un Parnass à Pfaffenhoffen en 1792
En consultant les archives du Comté de Hanau-Lichtenberg, notre attention a été attirée par un dossier intitulé: "Disputes entre israélites" à Pfaffenhoffen en 1792(1). Bien qu'en principe seuls les conflits entre Juifs et Chrétiens étaient du ressort de la justice seigneuriale, il n'était pas exceptionnel que des différends entre Juifs, parce que la décision du rabbin ou du Beth Din (Tribunal Rabbinique) ne convenait pas à l'une ou l'autre des parties, soient portés au tribunal du bailliage ou du comté et même devant le Conseil Souverain d'Alsace.
Cependant dès la lecture des premières lignes du document, on se rend compte qu'il ne s'agit nullement d'une "dispute", mais de l'élection de trois "disputirten" (le terme était à la mode - nous sommes en 1792!) au sein de la Communauté Juive de Pfaffenhoffen. En fait il s'agissait de l'election du Parnass (Président de la Communauté) et de ses deux assesseurs.
Avant de commenter ce texte, nous voudrions brièvement rappeler ce qu'étaient les Parnassim (Prévôts ou Syndics des Juifs, Judenvorsteher, dans la terminologie allemande). Il faut savoir que dès le XVIème siècle, les Juifs de l'Empire Germanique avaient leurs représentants Advocati judeorum.
Le plus célèbre d'entre eux étant Rabbi Josselmann de Rosheim qui avait pris le titre de Parnass ou -Manhig- chef et conducteur de la communauté juive de l'Empire. Il a eu la malencontreuse idée de traduire ces termes par "Regierer" ce qui lui a valu quelques ennuis avec Charles Quint qui lui donnait le titre de "unser gemeiner Judischkeit im heiligen Reich teutscher Nation Befehlshaber". Son successeur fut Lazarus de Surbourg qui résidait à Haguenau.
Par la suite, il semble que les Juifs furent représentés en Alsace par des préposés seigneuriaux ou territoriaux (Landesvorsther). Ils étaient nommés par le seigneur et avaient autorité sur les Juifs de son territoire. Leur rôle était essentiellement de faire rentrer les taxes et impôts dans leur juridiction. Cependant, ils avaient un poids certain auprès des autorités seigneuriales et pouvaient défendre leurs coreligionnaires contre les abus de certains fonctionnaires ou de municipalités. Dans le Comté de Hanau-Lichtenberg, le premier que nous connaissions est Jacob Weyl de Westhoffen qui a exercé ces fonctions pendant la deuxième moitié du XVIIème siècle. Il était le factotum (il se qualifie lui même de Hof Jude) du Comte Palatin et du Prince de Birckenfeld. Nous ne nous étonnerons donc pas qu'il ait obtenu gain de cause dans le conflit où il soutenait les Juifs de Pfaffenhoffen contre le pasteur du lieu(2). Il est mort en 1694 ou 1695 et c'est Libmann, un de ses fils, qui lui a succédé. Nous voyons la signature de ce dernier sur les Schirmgeldregister (registres des droits de protection) des bailliages de Bouxwiller et Pfaffenhoffen de 1702 et 1706(3). Il est encore préposé du Comté en 1722. En 1739, c'est Jacob Weyl (probablement le fils de Libmann et petit-fils de Jacob) qui a le titre de Landesvorsteher (4) comme nous le voyons dans un différend qui l'a opposé au Préposé des Juifs de Bouxwiller. A la fin du XVIIIème siècle, la fonction de Préposé Seigneurial semble tomber en désuétude au profit des Préposés Particuliers de Bouxwiller.
Les Préposés Particuliers étaient élus par les membres de leur Communauté et étaient ensuite agréés par les autorités seigneuriales. Il leur appartenait de maintenir l'ordre au sein de la communauté et tout particulièrement à la synagogue. Ils avaient le droit de sanctionner leurs coreligionnaires et étaient soutenus en cela par les autorités, ce qui a fait écrire à Georges Livet(5): "ce n'est pas un des moindres paradoxes du régime que de voir la loi de la société civile, appuyée par les forces de la police et de l'administration, venir en aide à la loi religieuse dans le maintien au sein de la communauté israélite de la discipline et de l'obéissance aux chefs reconnus...".
Dans le procès-verbal de l'Assemblée des Notables de Niedernai du 28 Mai 1777 (6), il est stipulé que le Préposé Particulier est élu à la majorité des voix par l'Assemblée de la Communauté réunie par le rabbin de la région puis confirmé par les Syndics Généraux(7). La nomination de ces Parnassim ne doit pas porter préjudice aux seigneurs qui ont le droit de se choisir un préposé seigneurial. Il doit être un homme de confiance et aisé (zuverlässig und zahlungsfähig) pour pouvoir avancer le cas échéant les sommes dues par la Communauté (art. 2). Le Préposé Particulier peut infliger des amendes de trois livres à ceux qui résistent à son autorité. Le récalcitrant peut être privé par le Parnass des honneurs religieux (art. 3) (8). Les amendes infligées par les Préposés étaient déclarées par ceux-ci à la Rentkammer et enregistrées sous la rubrique Judenfrevel (amendes aux Juifs). Leur produit était partagé par moitié entre la trésorerie du Comté et la caisse des pauvres (Almosen) de la Communauté.
Toutes les communautés notamment les plus petites n'avaient pas leur Préposé Particulier. Ainsi dans le relevé préparatoire pour le dénombrement de 1784 des bailliages de Pfaffenhoffen, Ingwiller et Neuwiller(9), on constate que la Communauté d'Offwiller où vivent quatre familles juives n'a pas de Préposé et c'est un simple membre de la Communauté, Leiser Raphaël, qui signe la déclaration alors que Schiele Lévy d'Ingwiller, Moses Alexandre d'Ingenheim, Loewel Lévy de Neuwiller, Zacharias de Pfaffenhoffen et Hertzel Jacob de Schwindratzheim ont tous le titre de Préposé. Ces préposés sont assistés par un Comité également élu.
L'histoire et le rôle qu'ont joué les Préposés Généraux ou Syndics de la Nation Juive -appelés Obervorsteher dans les textes allemands- ont fait l'objet de nombreuses études. "Il existait en Alsace à la fin du premier tiers du XVIIIème siècle un petit groupe de Juifs que leur industrie, leur génie des affaires, les relations qu'ils avaient réussi à se faire, avaient placés au tout premier rang de leurs coreligionnaires (10)". C'était Moïse Blien de Hoehnheim, la famille Weyl de Westhoffen, Aaron Meyer de Mutzig, les Netter de Rosheim et Cerf Berr, le plus connu de tous. Ces négociants, banquiers et fournisseurs des armées royales possédaient des moyens financiers considérables. Lorsque l'Intendant de Vanolles introduisit sa réforme fiscale en 1744, il leur donna à bail les droits et taxes royales qui incombaient aux Juifs de la province, tout comme le Magistrat de strasbourg leur avait affermé en 1754 le péage corporel que payaient les Juifs qui entraient dans la ville (11).
Cependant malgré leur puissance, et l'influence qu'ils avaient auprès de l'Intendant et du Conseil Souverain d'Alsace, ils ne purent jamais s'immiscer dans les affaires du Comté de Hanau-Lichtenberg. Le Conseil de Régence aussi bien que les Préposés locaux s'y sont toujours opposés. En 1777 lors de la réunion des notables de Niedernai, les Préposés du Comté, bien qu'invités nommément, n'ont pas siègé puisque le procès-verbal n'est signé par aucun d'entre eux.
Un document de Janvier 1777 montre bien l'opposition des Juifs du Comté à l'action des Préposés Généraux (12): les quatres frères Moyse (Abraham Hirsch, Israël Wolff, Elias et Joseph) demandent dans une lettre au Conseil de Régence que celui-ci réagisse contre "das frevelbarste Attentatum welches jehmals wider die diesseitige Juridiction ausgeübt werden konnte" (contre l'attentat le plus repréhensible exercé contre la juridiction de ce Comté). Il s'agit de l'inventaire de la succession de leur mère récemment décédée pour lequel "les prétendus Préposés de la Nation Juive en Alsace" ont envoyé leur secrétaire, Simon Hallé, afin d'apposer les scellés. Cette immixtion dans les affaires administratives du Comté n'émanait pas d'un ordre de l'Intendance, comme l'a avoué Simon Hallé, mais d'un ordre de Cerf Berr. Or le règlement du 1er Août 1771 n'autorise pas une telle action juridique. Cependant pour montrer qu'ils ne redoutaient pas la pose de scellés les frères Moyse ont demandé au greffier de la Régence d'apposer ceux-ci en présence de Simon Hallé et ont fait dresser un procès-verbal par huissier royal.
Ils espèrent que le Conseil de Régence approuvera leur conduite. Ils demandent en outre que l'inventaire soit fait par le rabbin en présence du greffier étant donné que le rabbin est leur oncle (13), et pourrait être accusé de partialité. Le Conseil de Régence fait droit à la demande des frères Moyse et décide que l'inventaire soit fait par le rabbin en présence du greffier du bailliage avec l'aide du Judenvorsinger, le chantre Loewel Blum, le 25 Janvier 1777.
Un incident analogue eut lieu la même année à la suite du décès du Préposé Hirtzel Netter de Bouxwiller en 1776. L'inventaire de sa succession révéla une fortune supérieure à celle qu'il avait déclarée pour la fixation de ses contributions. Les Préposés Généraux firent saisir une somme de cinq mille livres qu'ils firent déposer entre les mains du rabbin Wolff Reichshoffer comme provision sur les arriérés de ses contributions. Là encore, les Préposés locaux se sont opposés et se sont adressés à la Régence qui les a soutenus. Cette affaire, dont les documents forment un volumineux dossier (14) a été analysée par Georges Weill (15). On peut y voir les arguments et contre-arguments échangés entre l'Intendant de Blair et C.G Koch (16), le conseiller intime du Landgrave Louis IX ainsi que des échanges de correspondance entre Koch et Cerf Berr. Il est bien évident que l'Intendant -c'est-à-dire le pouvoir royal- avait tout intérêt à soutenir la position des Préposés Généraux dans leurs efforts de centralisation, mais devait se garder néanmoins d'empièter sur les droits seigneuriaux. "Cerf Berr ist der erste welcher von diesem ordentlichem Weg abgegangen und sich zum Despoten über die Hanauische Judenschafft aufzuwerfen suchet". Cerf Berr est le premier qui s'est écarté du droit chemin et a voulu s'imposer comme un despote à la Communauté Juive du Comté de Hanau: telle est la conclusion du bailli Reiner dans un long rapport au Landgrave de Hesse-Darmstadt le 11 Janvier 1778 (17).
Un autre document (18) des Archives du Rabbinat du Comté dont l'original semble être perdu montre bien l'indépendance des Préposés locaux par rapport aux Préposés Généraux. Il s'agit d'une lettre datée de Strasbourg du 23 Juillet 1782 signée par les trois Syndics Aaron Meyer, Lehmann Netter et Cerf Berr, adressée au rabbin Wolff Jacob Reichshoffer. Ils lui demandent de bien vouloir réunir les Parnassim de son ressort afin de leur donner tout pouvoir de conférer avec les Préposés Généraux "tant au sujet du budget que des statuts et autres questions intéressant les Juifs de la province."
Venons en maintenant au document sur l'élection du Parnass et de son comité à Pfaffenhoffen. C'est un texte de quatre pages manuscrites en allemand sur papier timbré, qui est la traduction de l'original en hébreu faite par Moïse Lévy Lipschitz, le chantre de Haguenau (19). "Auf heut zu end gesetzem dato hat sich die allhiesige Pfaffenhoffner Judenschafft versammelt ... als nehmlich wie sich befindet in dem fünften Buch Moses "Du sollst dir einen Vorgesetzen machen...""
Ce jourd'hui s'est réunie la Communauté Juive de Pfaffenhoffen pour agir selon qu'il est écrit dans le cinquième livre de Moïse: "tu mettras des juges et magistrats à la tête du peuple"(20)
Il y est dit que les membres de la Communauté s'y sont réunis pour élire trois d'entre eux comme députés (disputirten) qui devront agir pour le droit et le bien de la Communauté. L'un de ces trois membres élus sera désigné comme Préposé.
Ce Préposé aura le pouvoir de convoquer les deux autres membres élus pour toute affaire concernant la synagogue, les cérémonies et tout ce qui touche la Communauté dans son ensemble.
Le Préposé aura le pouvoir de sanctionner d'une amende de trois livres celui des députés qui n'aura pas répondu à la convocation.
Le Préposé et les deux autres membres élus pourront sanctionner les membres de la Communauté d'une amende allant jusqu'à six livres, dont la moitié sera pour la Municipalité (21) et l'autre pour la Almosen Bichs, le tronc de bienfaisance.
Les trois membres élus pourront faire des démarches dans l'intérêt de la Communauté et aux frais de celle-ci.
Ils auront le pouvoir de convoquer en assemblée les membres de la Communauté et sanctionner ceux qui se sont abstenus sans motif valable.
Au cas où pour une raison quelconque il y aurait une charge supplémentaire pour la Communauté, celle-ci doit être acceptée à la majorité.
Le préposé et les deux membres désignés auront pouvoir de dépenser jusqu'à vingt Florins à condition de le justifier.
Au cas où le Préposé ne sanctionnerait pas un contrevenant, les autres élus seraient habilités à lui infliger une amende jusqu'à une somme de trois Florins.
Tout ce qui a été décidé doit avoir force de loi comme si c'était un décret de la Municipalité (21).
Suit la signature de 17 membres de la Communauté.
Aussitôt après on passe au vote secret qui désignera Meyer Loewel comme Préposé et comme ses assesseurs Samuel Samson et Mayer Sacher.
Il est stipulé en outre que le nouveau Préposé aura les honneurs de la Thora aux prochaines fêtes Juives.
Suit à nouveau la signature de 18 membres de la Communauté:
Mayer Loebel, Samuel Samson, Mayer Isachar, Siesel Loebel, Isachar Mayer, Isachar Loebel, Samuel Isac, Raphaël Jochanan, Abraham Mendel, Loebel Samuel, Elias Raphaël, Jachiël Salomon, Getsch Samuel, Moyses Loebel, Lipman Raphaël, Samuel Loebel, Lipman Machaël, Baruch Meyer.
La traduction du texte hébreu a été faite à Haguenau le 22 Octobre 1792.
Dr A.M. HAARSCHER
1)A.B.R. (Archives du Bas Rhin) 8 E 372/24
2)HAARSCHER (A.-M.) Le bras de fer entre le pasteur et les Juifs de Pfaffenhoffen. Pays d'Alsace 150, 1990, 1-5
3)A.B.R. E 3051 et 3080
4)A.B.R 3769/28
5)LIVET (G) L'intendance d'Alsace, Paris 1956 p.783
6)BLOCH (J) Das Protokoll der Versammelung der Gemeindevorsteher in Niedreehnheim (28 Mai 1777) Tribune Juive 1933, N° 45, 49, 51; 1934, N° 1, 4, 6
7)Ceci n'est pas le cas pour les Préposés du Hanau-Lichtenberg qui n'ont pas reconnu la prééminence des Préposés Généraux
8)C'est ce qu'on appelle dans la juridiction religieuse "Isser" (de l'Hebreu Issour - interdit) et qui est généralement traduit dans les textes par Kleine Bann, par opposition au "Herem" ou Grosse Bann qui était une exclusion de la communauté
9)A.B.R. 1 E 12
10)RAPHAEL (F) et WEYL (R) Les Préposés Généraux (1648-1793) in Regards Nouveaux sur les Juifs d'Alsace Strasbourg, Istra, 1980, 17-45
12)A.B.R. E 1450 fol. 114
13)Il s'agit de Wolff Jacob Reichshoffer dont la soeur Zippora avait épousé Moyse Elias, le père des quatre frères Moyse
14)G.L.A. (Badisches Generallandesarchiv) 112 N°124
15)WEILL (G) L'Intendant d'Alsace et la centralisation de la Nation Juive in Dix huitième siècle, 13, 1981, 181-205
16)Christophe Guillaume Koch (Bouxwiller 1737 Strasbourg 1813) Conseiller des Princes de Hesse-Darmstadt, savant, historien, Recteur de l'Université de Strasbourg (1787) Député de Paris (1789) puis de Strasbourg
17)G.L.A. 112 N°124 fol. 60-62
18)WEIL (J) Contribution à l'histoire des communautés alsaciennes au XVIIIème siècle R.E.J. 81, 1925, 169-180
19)L'original hébreu ne figure pas dans le dossier
20)Deutéronome chap. XVI, verset 18
21)L'argent n'est plus versé à la Rentkammer ou Trésorerie du Comté; pour la même raison, nous sommes en 1792, le Conseil de Régence n'est plus évoqué
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