Des Juifs à Pfaffenhoffen depuis le XVII ème siècle

Cette partie a été très largement inspirée d'articles parus sur Pfaffenhoffen présentés comme documents

Pfaffenhoffen, un carrefour accueillant aux Juifs

Pfaffenhoffen, dont l'origine ancienne est prouvée par des vestiges de l'époque romaine, se trouve en posture favorable au carrefour de plusieurs routes en plein centre d'une riche contrée agricole.

Cette petite ville apparaît pour la 1ère fois dans les documents sous le nom de Popanhaime ou Paphenhove, à peu près identique à l'appellation actuelle. C'est sans doute à la "création" sur son territoire de plusieurs couvents ou abbayes qu'elle est redevable de son nom, car de bonne heure on y trouve établissements d'ordres religieux, en premier lieu un couvent de bénédictins.

D'abord fief impérial (ou Reichsbesitz) de 1160 à 1283, Pfaffenhoffen tombe en la possession partielle de la famille des Ochsenstein (en 1293) qui fut obligé en 1330, d'en céder une part à la famille des Lichtenberg. Ces derniers après une longue lutte, élimine les Ochsenstein et reste alors seuls propriétaires de la localité. La réunion du comté à la France avait été consacrée par le traités de Ryswick en 1697. Après l'extinction des Hanau, la propriété avait passé aux mains des Hesse-Darmstadt qui en gardèrent la seigneurie jusqu'à la Revolution.

En 1569, la localité avait été élevée au rang de ville entourée d'une enceinte de murs, et devint ainsi une petite forteresse établie sur une légère éminence au milieu de la campagne environnante.


vue aérienne de Pfaffenhoffen aujourd'hui

Elle eut à subir, comme tant d'autres endroits fortifiés, plusieurs sièges, et supporta les assauts de diverses ennemies, selon les vicissitudes changeantes des opérations guerrières à travers les siècles (les fortifications n'existent donc plus).

Des Israélites signalés en 1594

Avant la révolution de 1789, la présence de Juifs dans un territoire dépendait de l'autorisation donnée par le gouvernement.

Les plus anciens établissements Juifs dans la contrée qui nous occupe semble être ceux de Bouxwiller et de Newiller; ils se revèlent dans un texte de 1322.

Le comte de Hanau-Lichtenberg accorda un privilège aux Juifs le 30 novembre 1626; il le confirma le 26 mars 1652. A partir de là, les Juifs purent s'établir sur les terres de ces seigneurs presque sans restriction et vaquer à leurs occupations avec bien plus de facilités que partout ailleurs à cette époque. Les Hanau-Lichtenberg, seigneurs très riches et d'une large tolérance, comptaient parmi les familles les plus puissantes du pays; leurs possessions, morcelés à travers tout le département actuel du Bas-Rhin et parfois sans cohésion géographique, comprenaient à un certain moment plus de 100 villes et villages et des Juifs étaient établis dans un grand nombres de ces localités.

Avant de s'établir dans les terres des Hanau-Lichtenberg, les Juifs étaient cependant dans l'obligation de solliciter une autorisation de séjour, laquelle, en général, fut accordée, après qu'ils eurent rempli les diverses formalités exigées pour cette circonstance. Une fois cette autorisation obtenue, elle donna lieu à l'établissement d'un acte individuel appelé "acte de protection" (Schutzbrief) et qui constituait presque l'équivalent d'une naturalisation. L'autorisation de séjour ne fut donnée qu'après une longue et minutieuse enquête qui portait sur la bonne moralité, l'état de fortune et de comportement du requérant. Afin d'avoir plus tard droit à cette admission, les jeunes gens se virent dans la nécessité de déposer leur demande de très bonne heure, avant de fonder un ménage, car il leur était difficile de satisfaire à toutes les questions des enquêteurs, leur vie civile ayant à peine commencé. Mais une fois toutes les enquêtes terminées et admission prononcée, les Juifs purent demeurer sur les terres des Hanau-Lichtenberg en toute liberté, aller et venir à leur gré sans les moindres empêchements dans toutes les localités de la seigneurie. Ils furent naturellement soumis comme tous les autres citoyens, au paiement de multiples taxes et redevances, et, en particulier à une redevance de 12 florins destinée "aux oeuvres de secours pour les veuves et les orphelins".

Tout nouvel arrivant était taxé selon son état de fortune, et eut alors à payer en premier lieu la taxe d'admission. C'était d'habitude le rabbin, conjointement avec le président de la communauté (parness) qui contradictoirement avec le nouveau venu, déterminèrent le montant de cette taxe. Aucune autorité municipal du comté n'avait la faculté d'admettre le moindre Juif s'il ne pouvait prouver avoir obtenu son droit d'admission et d'avoir acquitté la taxe.

La taxe de protection (ou Schirmgeld) auquel tout Juif était soumis en ce temps là, était également due sur les terres des Hanau; en étaient seuls exempts le rabbin, le chantre et l'instituteur, sous condition, toutefois, "de ne pas tenir ménage" qu'ils prenaient leurs repas dans une famille. A certains moments, il leur fallait en plus, encore payer une taxe spéciale appelée "Judenzoll" ou "Judenpfennig", de même la taxe dite "Ohmgeld" ou taxe sur le vin, mais ceci au même titre que tout les autres citoyens. Par exemple à Westhoffen qui dépendait des Hanau, le "Judenwirt" devait payer le "Ohmgeld" lorsqu'il vendait du vin à l'occasion de diverses circonstances telles que mariages, fiançailles etc...).

Comme déjà mentionné plus haut, une fois leur admission en règle, les Juifs purent circuler librement sur les terres des Hanau, sans permission spéciale, mais pour quitter le comté à titre définitif (c'est-à-dire pour émigrer), il leur fallait l'autorisation du seigneur et ce départ dut être sanctionné par le paiement d'une autre taxe spéciale du nom de "Abzuggeld" ou taxe de sortie, dont le taux était généralement de 18 florins.

Aussi librement qu'ils furent traités chez les hanau, les juifs virent néanmoins leurs activités soumises à une stricte réglementation. Pour l'ouverture d'un commerce au détail, d'une boucherie, d'une buvette ou de n'importe quelle autre affaire commerciale, il leur fallait obtenir une autorisation préalable; une pareille autorisation était également nécessaire pour tenir des réunions religieuse, etc...

Les enterrements étaient aussi frappés d'une taxe d'enterrement payable par cadavre d'adulte.

Dans diverses localités sous l'obédience des Hanau, les Juifs furent autorisés d'ouvrir des restaurants ou des maisons dans lesquels les passants purent séjourner et se restaurer. Le Judenwirt de Westhoffen (dont nous avons parlé un peu plus haut) était par exemple obligé d'héberger et de nourrir tout Juif de passage, malade ou bien portant.

Certains délits commis par les Juifs tombaient sous la juridiction des seigneurs (et non pas de l'autorité rabbinique), ainsi l'on connait le cas, mentionné par les documents, d'un nommé Leiser Lévi de Pfaffenhoffen qui fut condamné à une amende de 2 florins pour avoir roué de coups, à l'abreuvoir, le fils d'un citoyen nommé Hetzel.

Comme les juifs étaient fort nombreux dans toutes les possessions des Hanau- Lichtenberg, les taxes et les redevances payées par eux constituaient une abondante source de revenus. On connaît le chiffre, pour l'année 1790 du rendement de toutes ces impositions, qui se montaient à 1386 florins pour les Juifs de Pfaffenhoffen et de Bouxwiller; à 1446 florins pour ceux de Westhoffen et de Balbronn, et de 197 florins pour les quelques Juifs de Wolfisheim.

Un oratoire ou un petit "temple" avait été érigé à Pfaffenhoffen dès 1791.

Le mouvement de la population juive de Pfaffenhoffen, avec ses alternatives d'augmentation et de diminution, pourrait prêter à confusion; il ne faut pas oublier, en effet, que tout à côté, séparé seulement par le cours d'eau de la Moder, la commune de la Walck hébergeait depuis longtemps, aussi un certain nombre de Juifs, dont mon aïeul, Simon Metzger avec un "temple" à eux qui fut détruit pendant la guerre et parfois, selon les circonstances du moment, les Juifs de la Walck étaient compris ou exclus dans les recensements de ceux de Pfaffenhoffen.

Citons, à présent, quelques épisodes de la vie quotidienne des juifs de Pfaffenhoffen au travers de documents glanés au cours de mes recherches. Nous pourrons constater que leurs existences n'étaient pas toujours exempte de soucis.

A Pfaffenhoffen des Juifs sont signalés en 1594. Ceux-ci seraient-ils de nouveau partis? Le fait est qu'un document daté de 1628 considère la présence d'un Juif vers 1618 comme chose exceptionnelle: il s'agissait d'un médecin réputé, Moses Jude Exteiner. il était reparti. En 1628, Jude Samuel (Susel) qui avait eu la permission de séjourner à Pfaffenhoffen en raison des troubles de la guerre de Trente Ans, était mal vu: la commune (prévôt, bourgmestre et jurés) adressaient une supplique aux conseillers du gouvernement de Hanau-Lichtenberg; les motifs indiqués étaient d'ordre moral (les jeunes gens emprunteraient de l'argent et se corromperaient) et hygièniques (les enfants juifs atteints de maladies, notamment de variole -Purpeln- seraient un objet de dégoût pour les femmes enceintes, qui n'aiment pas se servir de l'eau puisée à la même grande fontaine publique).

De la même supplique il ressort que des Juifs étaient déjà établis à la Walck (qui est séparé de Pfaffenhoffen uniquement par le pont de la Moder, mais qui dépend de la préfecture impériale de Haguenau; ils venaient s'approvisionner à la dite fontaine, mais on leur a interdit à cause de la sécheresse de l'été(). La supplique resta sans effet.

En 1632, J. Samuel était sommé de payer les frais de cantonnement des soldats lorrains qui n'ayant pu être logés chez lui, étaient hébergés dans une auberge; de même de s'entendre avec les bourgeois au sujet de la garde à assurer dans l'intérêt du bourg. Un conflit d'ailleurs sur ce sujet naquit entre les Juifs de Pfaffenhoffen et la commune dans les années 1733.

Le logement des "Gens de Guerre": un procès entre les Juifs de Pfaffenhoffen et la commune en 1733

De tout temps, les Juifs d'Alsace avaient été exemptés de loger et de nourrir dans leurs maisons des "Gens de Guerre"(), c'est-à-dire les soldats faisant partie de troupes en mouvement et qui cantonnaient dans les villes et villages aux frais de l'habitant. Cette dispense qui leur avaient été accordée par les seigneurs locaux leur avait été confirmée après que l'Alsace ait été réunie à la couronne de France par une ordonnance de l'Intendant De La Grange en 1674().

On comprend aisément les mobiles de cette exemption:

  • Tout d'abord pour les raisons de promiscuité, qui étaient invoquées aussi bien par les Juifs que par les autorités religieuses chrétiennes. En effet, si à cause de la "Cacherouss" il était difficile aux Juifs de loger les soldats chrétiens, il était dangeureux pour des Chrétiens de loger chez des Juifs(). Les Juifs risquaient de "séduire" les soldats en leur prêtant de l'argent facile et aussi de les induire en erreur au sujet de la religion chrétienne. La crainte du prosélytisme juif continuait de hanter l'esprit du clergé().
  • Ensuite les conditions d'habitation des Juifs leur permettaient mal d'heberger des personnes supplémentaires étant donné l'exiguïté de leurs logements et le manque de dépendances, à l'opposé des Chrétiens dont chacun avait, du moins dans les villages, son grenier, sa grange et son fenil.

Avant la guerre de Trente Ans, la question ne s'était guère posée, mais à partir de 1630 et plus tard, pendant de nombreuses campagnes de louis XIV pour les troupes de qui l'Alsace était un lieu de passage privilégié vers le Nord ou l'Est, on constate de en plus de litiges dans les documents d'archives concernant ce problème.

A Pfaffenhoffen, dès 1632, des soldats du capitaine Von Hornberg, que le comte Philippe Wolfgang de Hanau-Lichtenberg avait appelé devant la menace d'invasion par les troupes lorraines, avaient refusé de loger chez le Juif Samuel(). Bien évidemment il fallait que les Juifs compense le privilège qu'ils avaient, privilège qui était également associé -et pour les mêmes motifs- à l'exemption de monter la garde, d'exécuter des corvées, de lutter contre les incendies. Aussi le Juif Samuel avait été contraint de régler la note que lui avait présenté le Ochsenwurth, l'aubergiste du Boeuf pour l'hébergement de 2 soldats (). De même, dans les Burgermeister rechungen, comptes communaux de Pfaffenhoffen de 1674, on peut lire: "item haben auf der Burgerstube verzehrt,ein Franzosischer Capitain Caunet mit ihren dienern so selbst hier einlogirt wodenzehn Gulden zwei Pfenning. Darauf die Juden bezahlt vier Gulden, der Rest aber gememeiner Mittel bezahlt wordn". Les Juifs () ont payé 4 Florins sur un total de 10 Florins 2 Pfenning pour la nourriture d'un capitaine et de sa suite ().

Le conflit qui comme nous l'avons signalé, naquit en 1733 entre la commune de Pfaffenhoffen et les Juifs () est le résultat de la plainte auprès de monsieur D'Elvert, subdélégué de l'intendant à Saverne, parce que la commune leur avait imposé le logement d'hommes de troupes. "Supplie humblement la communauté des Juifs de Pfaffenhoffen disant qu'ils ont de tout temps jouis de l'exemption personnelle du logement des gens de guerre. Ce nonobstant le prévôt dudit lieu a annoncé aux suppliants qu'ils devaient préparer pour loges des gens des troupes qui viendraient en garnison. Et comme il est notoire que la loi judaïque leur défend de prêter leur vaisselle aux Chrétiens et même de cuire auprès d'un même feu... ce considéré monsieur, il vous plaise garder et maintenir les suppliants dans l'exemption du logement des gens de guerre... faire défense audit prévôts et à tous autres de les loger, et ferez justice" (17 septembre 1733).

Au dos de cette lettre, la réponse du subdélégué: "Soit la présente requête communiquée au sieur prévôts et bourgmestre... pour répondre par devant-nous dans les trois jours et ensuite être ordonné par Montgr. L'intendant () ce qu'il appartiendra. Fait à Saverne par le soussigné subdélégué de Montgr l'intendant. Signé: D'Elvert".

Il semble en effet que la municipalité ait passé outre malgré une offre de compensation en argent de la part de Juifs. Le Burgermeister et le Schultheiss sont convoqués à Saverne et, dans une lettre au Conseil de Régence à Bouxwiller du 9 décembre, ils demandent à être dédommagés des Juifs des frais qu'a entraînés leur leur déplacements à Saverne. "ihro herrlichkeit hiemit underthanig zu berichten... wir von ihnen den Juden pretendiren unsern Taglohn und uncosten mit drey Gulden funff Scilling vor mann und pferdt..." signé: Hanss Jacob Furn als Burgermeister, Becker, Schltheiss.

Au bas de la lettre et le même jour, le bailli Geiger de Bouxwiller note que les frais susmentionnés seraient à payer par les Juifs. Cependant, une lettre adressée au Schultheis Becker, Geiger fait remarquer le 28 décembre: "Weilen es sich nicht geziemt das der Judenschafft soldaten eingelegt werden und sie sich mit deder Gemeind zu accomodiren versprechen, alsdann sich der Schultheiss sich mit dem daselbstigen Gericht () unterreden und einen Vergleich mit gedachter Judenschafft zu treffen suchen..." "Etant donné qu'il ne convient pas d'imposer les soldats à la communauté juive et que les Juifs sont prêts à un arrangement, le prévôt, après consultation du conseil des échevins doit proposer une compensation en argent, ce à quoi il doit se tenir".

Fort d'avoir eu gain de cause, les Juifs de Pfaffenhoffen refusent de payer les frais de déplacements des édiles à Saverne par un "acte d'appel" au conseil de régence de Bouxwiller et le font savoir par voie d'huissier à la municipalité en date du 21 janvier 1734: "nach den mihr, die Gemeinde judenschafft zu Pfaffenhoffen von dem herrn ambtmann Geiger condemnirt vorden sein, die ungkosten vegen das sie sich vegen dem loschiern der soldaten zu Zabern bey dem Herrn Elbert beklagt haben und sich die Gemeinde alda hat stellen mussen auf sein Befehl, diese ihre Ungkosten zu rechen wollen und mir auchkeine Ungkosten zu seiten schultig sein, also thun mirdurch den Joseph Werlé als Ambtssergent, unser unschult und Beschwer ahne die hochlöbliche Regirung aboliren und dem Burgermeister Hanns Jakob Fehren diese acte d'appel heute dato im beysein zweyer Zeugen zu recht signifizirt und damit er sich der Unwissenqheit nit entschultigen möge, so habe ich ihme in Nahmen der Gemeinde eine gleichlatende Abschrifft davon zugestellt und der Meyer Judt hat sich im Nahmen der Gemeindt Judenschefft eingenhändig unterschriben" Signé en lettre hébraïques: Meïr Judt von Pafhoven ainsi que par les deux témoins et l'appariteur.

Sur quoi, le bourgmestre de sa propre initiative fait saisir des pièces de mobilier dans chacune des maisons juives. La Judenschafft s'adresse alors une nouvelle fois au Conseil de Régence en joignant en annexe la plainte qu'ils avaient adressée au Subdélégué de l'Intendant de Saverne ainsi que la note adressé par le Bailli Geiger au Schultheiss lui demandant de dispenser les Juifs de loger les soldats contre compensation en argent. Les Juifs de Pfaffenhoffen demandent que soit ordonnée la remise des biens saisis et que le Bourgmestre soit condamné à 20 Florins de dommages et intérêts.....

La Municipalités de Pfaffenhoffen est effectivement convoquée devant le tribunal de Bouxwiller le 21 avril 1734 en même temps que les délégués des Juifs, Abraham Lehmann assisté du procureur Schulmeister. Après avoir ouï les deux parties, le tribunal déclare recevable la mise en cause de la commune, mais la question des dommages et intérêts est mise en délibéré.

Parallèlement la Municipalité se met en rapport avec l'intendant d'Alsace par une lettre du 2 juin 1734 dans laquelle elle se plaint d'avoir eu à fournir un supplément de fourrage en lieu et place des Juifs et demande que ceux soient astreints "...de rendre, payer et restitué aux suppliants le contingent des fourrages fournis et de contribuer, au surplus, à toutes les charges ordinaires et extraordinaires de la communauté du dit lieu, même au logement des gens de guerre...".

La réponse de l'intendance vers le 16 août signée par le Subdélégué Général Louis De Gazon: "... ordonnant que les Juifs domiciliés à Pfaffenhoffen seront tenus de remplacer incessamment la quantité de ration de fourrage... ordonnons pareillement que les 10 Juifs seront tenus de contribuer à toutes les charges ... même aux corvées des gens de guerre auxquelles toutefois y contribueront par la somme qui sera convenue entre le prévôt et gens de justice de la communauté et le préposé des Juifs".

Il est clair que le Bourgmestre et le Prévôt de Pfaffenhoffen ont commis un abus de pouvoir en imposant aux Juifs de loger des gens de troupe comme le Bourgmestre Firn en a commis un autre en faisant saisir des meubles des Juifs. Il est bien clair aussi, que les Juifs avaient à participer proportionnellement à leurs possibilités aux charges des communes (y compris celles causées par l'hébergement de soldats), mais ils tablaient sur le fait qu'ayant payé leurs droits de protection au seigneur et la capitation au roi, ils se sentaient quittes envers la municipalité. C'est ce qui a motivé l'ordonnance de l'intendant de Vanolles en 1744 stipulant que les Juifs auraient à payer annuellement "pour le soulagement des communes" 25 Sols par Livre de capitation. Les Archives du Bas-Rhin possèdent une lettre du Ministre D'Argenson à l'intendant lui demandant étant donné que le "Syndic de la Nation Juive" a demandait que son ordonnance soit érigée en loi "en conséquence duquel Monsieur le Maréchal De Coigny a défendu a défendu le logement des gens de guerre chez les juifs" le 17 mai 1744.

Il est intéressant de voir comment les deux partis ont joué alternativement sur les deux tableaux du pouvoir: les Juifs se sont d'abord adressés au pouvoir central (l'intendance), puis, au pouvoir local, (conseil de Régence de Bouxwiller). La municipalité a fait le contraire en s'adressant à l'Intendance quand elle a été déboutée par le Conseil de Régence qui était censé prendre fait et cause pour elle.

Le document que nous présentons a encore un intérêt supplémentaire parce qu'il nous fait connaître le nom des dix chefs de famille qui devaient payer les frais de déplacement à Saverne: Borisch (Borouch) et ses 3 fils établis, Meyer, Löwel et Lehmann; Frommel (Abraham) et son fils Siesel le vieux; Löwel le vieux, Meyer le jeune et Samson. D'après la répétition des noms, on peut supposer un lien de parenté entre les différentes familles. Nous savons qu'en 1774, 3 familles payaient la taille: la veuve de Süssel, Lehmann et Löwel; alors qu'à la suite des dévastations de guerre, la population était réduite à 60 familles; la demande officielle de réduction des prestations à fournir à Pfaffenhoffen datée de 1679 suggère l'impression que le comte avait vu d'un bon oeil ces Israélites qui constituaient un appoint et une aide.

La construction de la première Schul en 1683: un echec

Une très vive action antijudaïque se declencha vers 1678. Elle semble avoir été déterminée par la célebration de Rosh Hashono (voir article de Marc Haarscher) qui eu lieu à l'intérieur de Pfaffenhoffen même à cause de l'insécurité générale résultant de la guerre. De telles cérémonies n'avaient lieu, en ce qui concerne le Comté De Hanau-Lichtenberg, qu'à Bouxwiller et à Westhoffen, où il y avait des synagogues. Les Juifs de P. se sont sans doute rendus aux offices de Dauendorf, village tout proche, qui appartenait à l'abbaye cistercienne de Neubourg: mais il semble que l'Abbé ne les tolérait plus. L'opposition antijudaïque de P. était dirigé par Samuel Hoppensack, pasteur depuis 1675. Les pièces de cette affaire qui a duré jusqu'en 1683, sont conservées dans le premier "kirchenbuch" de P. où Hoppensack a tout consigné. Celui-ci s'est placé avant tout sur le terrain religieux, confessionnel; l'argumentation tient essentiellement en ceci, que c'est de "l'impudence" pour lui que de célebrer des fêtes antichrétiennes, "idolâtriques", l'"Homme" étant seul le vrai Dieu pour SH, et étant le "sauveur", le "libérateur". "A ce compte, il faudrait", écrit-il aux autorités," tolérer aussi "les papistes, les Clavistes, les Quakers...". Son entreprise", dit-il, "ne fait que se conformer à la parole de Luther."

Les familles juives de P., non contentes de célebrer la fête en privé, en quelque maison appartenant à l'une d'entre elles, tinrent à avoir un local spécial, une Schule. Elles construisirent celle-ci en 1683; mais elle fut aussitôt renversée. Le gouvernement donna raison aux Juifs qui étaient conseillés et soutenus par un coreligionnaire très influent de Westhoffen, Jacob Weyl, couramment appelé Joeckel Jud. Celui-ci intervint auprès du chef protestant à Strasbourg et surtout auprès de Chritian, comte Palatin à Bischwiller, frère d'Anne Madeleine, veuve de Johann Reinhart II et tuteur de Johann Reinhart III encore mineur. Le mémoire de S. Hoppensack, signé des pasteurs du comté, et la pétition des Bourgeois n'avaient servi de rien. Le gouvernement n'en tint pas compte et maintint l'autorisation de construire la Schule.

Les familles juives à Pfaffenhoffen jusqu'au début du XXième siècle

Ce sujet a été étudié avec talent par A. Wollbrett.

Les comptes des bailliages renseignent sur le nombre de familles juives en 1702; à Noël il y en avait trois à Pfaffenhoffen (celles de Loewel, Moses et Baruch); indiquons, à titre de comparaison, que dans les bailliages de Bouxwiller et de Pfaffenhoffen dans la même année 21 familles payaient la taxe annuelle (Juden-Schirmgeld) à Bouxwiller, 2 à Ringendorf, trois à Schwindratzheim (il y en avait eu aussi à Offwiller). Le feuillet des taxations était signé par Liebmann Weyll de Westhoffen, "Judenvorsteher", et Elias, président de la communauté de Bouxwiller. La taxe était payable quatre fois par an (à Pâques, à la Saint-Jean, à la Saint Michel et à Noël); la taxe trimestrielle était alors de 4 florins 5 schillings; elle rapportait au gouvernement du Comté dans les deux bailliages indiqués environ 130 florins par trimestre. La taxation frappait, à un moment donné, à Pfaffenhoffen un Israélite d'Ueberach. En 1706, on comptait à Pfaffenhoffen 4 familles à Pâques (plus 2, l'une de La Walck, l'autre de Minversheim, séjournant à Pfaffenhoffen par suite des événements de la guerre), à Noël 5.

En 1723, le nombre des ménages s'élevait à 10; en 1751 à 15. Ce nombre s'est sensiblement maintenu dans la suite du XVIIIème siècle: en 1781, il y avait en tout 74 Israélites. Le Recensement de 1784, fait en exécution des Lettres patentes du 10 Juillet, indique pour Pfaffenhoffen 17 ménages (84 personnes), pour Schwindratzheim 13 ménages (42 personnes), pour Neuwiller 15 ménages (73 personnes), pour Ingenheim 17 ménages (71 personnes), pour Offwiller 3 ménages (12 personnes), pour Lichtenberg 1 ménage (7 personnes) et pour Ingwiller 39 ménages (195 personnes); cela fait pour les bailliages d'Ingwiller, Pfaffenhoffen et Neuwiller en tout 105 familles avec 484 âmes. La communauté juive de Pfaffenhoffen comprenait les ménages suivants: 1) Meier Jude (reçu il y a 12 ans; 8 personnes; épouse originaire de Marmoutier; marchand de cheveaux et d'autres bêtes); 2) Süssel (reçu il y a 35 ans; 4 personnes; épouse venue de Soultz-Surbourg; marchand de cheveaux); 3) Schmule Samson (reçu il y a 25 ans; 10 personnes; épouse de Schweinheim; marchand de cheveaux); 4) Salomon Lévy (reçu il y a 29 ans; 6 personnes; épouse de Bergheim; brocanteur); 5) Isaac Samson (reçu il y a 44 ans, 3 personnes; épouse de Dauendorf; marchand de bestiaux); 6) Samuel Isaac, fils du précédent (reçu il y a 8 ans, 5 personnes; femme de Wosch (?); marchand de bestiaux); 7) Machole Samson (reçu il y a 48 ans; 2 personnes; épouse de La Walck; brocanteur); 8) Machole Lippmann, fils du précédent (reçu depuis 5 mois, 2 personnes; femme de Reichshoffen; brocanteur); 9) Zacharie Loewel Sohn (reçu depuis 25 ans; 4 personnes; femme de Marmoutier; marchand de bestiaux); 10) Zacharie Meyer (reçu depuis 29 ans; 6 personnes; épouse de Minversheim; marchand); 11) Fole Lehmann (reçu depuis 28 ans; 11 personnes; femme de Neuwiller; marchand de bestiaux); 12) Manuel Moise né à Niedernai (reçu il y 31 ans; 7 personnes; épouse de Pfaffenhoffen; brocanteur); 13) Baruch Meyer Jude (reçu depuis 1 an; 3 personnes; femme d'Osthoffen; brocanteur); 14) Daniel Garçon (pas reçu; sans proffession; arriéré); 15)Moises Loewel (reçu depuis 6 ans; 4 personnes; épouse d'Offwiller; brocanteur); 16) Veuve Loewel-Süssel née à Odratzheim (reçue depuis 36 ans; 4 personnes; sans trafc); 17) Veuve de Hirschel, née à Hohfelden (reçue il y a 38 ans; 4 personnes; sans trafic).

De ces 17 familles, 13 payaient le droit annuel d'habitation de 36 livres au seigneur; les Juifs du comté ne payaient aucun droit de protection au roi. 9 ménages possédaient une maison, 5 une partie de maison, 3 n'en avaient pas (et pour cette raison ils étaient dispensé de payer le droit). Outre les immeubles, les Juifs des bailliages hanoviens ne déclaraient que les deux tiers de leurs biens; c'est qu'au nombre des débiteurs figuraient, dit le texte, des gens qui étaient ou devenaient insolvables. Quant aux contributions aux charges de la communauté israélite, chacun devait autant de fois 25 sols qu'il payait de livres de capitation. Ils participaient au paturage communal.

La communauté juive de Pfaffenhoffen avait acquis au XVIIIème siècle, on peut s'en rendre d'après les chiffres indiqués, une assez grande stabilité. Les familles comptaient en moyenne cinq enfants. Les rapports entre communautés même éloignées de plus de cinq lieues, étaient relativement fréquentes; dans plus de la moitié des cas on prenait femme en des localités assez éloignées de Pfaffenhoffen (p. ex. dans le pays de Marmoutier: ce bourg abbatial comptait alors 299 Israélites et Schwenheim 101; à Osthoffen où habitaient 85 Juifs, à Bergheim près de Ribeauvillé où l'on en comptait 327). Les rencontres se faisaient à l'occasion des fêtes religieuses,(...) et les jours de marché et de foire.

Pour être admis dans le territoire de Hanau-Lichtenberg, les fils premiers-nés des familles déjà établies dans le comté n'avaient à payer aucune taxe; les autres fils et les étrangers étaient soumis à une taxe d'entrée, proportionnelle à l'état de leur fortune. Dès l'établissement, ils étaient astreints au payement du "Schirmgeld". On devait soliciter de la seigneurie l'autorisation de s'établir. D'après la liste que nous venons de reproduire, il semble que les demandes furent faites vers l'époque du mariage. On recevait un acte de protection écrit.

Si nous ajoutons aux Israélites de Pfaffenhoffen même ceux de La Walck (13 ménages, 62 personnes), nous obtenons 30 ménages avec 146 personnes pour l'année 1784. En dehors des localités citées plus haut, on relève des Israélites en quelques localités très rapprochées de Pfaffenhoffen (à Buswiller 14 ménages, 71 personnes; Ringendorf 5 ménages, 24 personnes; à Ettendorf 20 ménages, 124 personnes; Dauendorf 15 ménages, 64 personnes; Uhlwiller 3 ménages, 17 personnes; Mertzwiller 14 ménages, 73 personnes; Uhrwiller 8 ménages, 41 personnes). Le XVIII ème siècle a donc une importance incontestable dans l'histoire du développement des Israélites en Alsace.

Avant de quitter la période d'ancien régime, citons une histoire qui s'est déroulée à Pfaffenhoffen entre 1732-1735: des troupes de l'armée royale cantonnaient dans le bourg; les Juifs, ne voulant pas loger de soldats, se plaignaient auprès de D'Elvert, subdélégué de l'Intendant d'Alsace à Saverne: ils proposaient de contribuer à l'entretien des quartiers au moyen d'une aide en numéraire. D'Elvert déclara que les Juifs étaient exempts de loger des soldats, étant donné qu'ils payaient annuellement une certaine somme d'argent au Roi et au Seigneur et qu'ils avaient toujours joui de l'exemption personnelle, des logements de gens de guerre ainsi que des corvées; il s'appuyait sur la loi judaïque "défendant de prêter la vaisselle aux Chrétiens, même de cuire auprès d'un même feu".

L'incompatibilité de religion, ajoutait-il, causerait chaque jour des désordres. L'écrit de D'Elvert date de 1733. A la suite de logements de troupes, les autorités municipales de Pfaffenhoffen se rendirent chez D'Elvert à Saverne pour protester. Le bailli de Bischwiller condamna en 1735 les Juifs à payer les frais résultant de ce déplacement; le "bourgmestre" de Pfaffenhoffen fit procéder par l'appariteur à des saisies de mobilier chez les dix familles juives.

L'émancipation légale s'est faite le 28 septembre 1791. Au cours des quinze années qui suivirent, la communauté israélite s'est accrue au point de compter en 1807, 131 personnes.

L'année 1808 est sans doute celle où dans toute l'histoire, le nombre de Juifs de Pfaffenhoffen ait atteint le maximum, à savoir 137 personnes. Ce nombre ressort des listes dressées en exécution du décret impérial du 20 juillet 1808. Dans l'ordre alphabétique, voici les noms choisis: Blum (13 personnes), Eisenmann (11), Gümbler (3), Haarscher (16), Hermann (4), Klein (7), Liebold (23), Meyer (27), May (1), Sichel(18), Straus (5), Schneberg (8), Sprigel (1). En jetant un coup d'oeil sur les feuillets, on constate que l'on conservait d'ordinaire l'ancien prénom (à titre d'exemple, Manuel Abraham s'appellera Abraham Sichel; des exceptions sont formées par Loewel Loewel nommé Abraham Harscher ou par Meyer Baruch devenu Adam Blum. Les façons de signer sont variées (en hébreu, en français ou au moyen d'un signe).

Relevons pour la suite le mouvement démographique: au lieu de 137 personnes en 1808, celui-ci marque 84 en 1842, 77 en 1866, 90 en 1875, 93 en 1895, 132 en 1905, 69 en 1936, 34 en 1952 et 20 au début de 1956. Ces variations mériteraient une étude approfondie qu'il faudrait entreprendre à la lumière du livre de Schnurmann: "La population juive en Alsace", paru en 1936. Il faudrait suivre l'émigration vers les villes, petites et grandes; les effets des guerres, etc. Il faut noter, comme fait exceptionnel, au lieu d'une diminution constante depuis le milieu du XIXème siècle, une nouvelle et forte augmentation de 1866 à 1905.


Page d'accueil